mardi 10 janvier 2012

Rendez-vous avec la Station spatiale internationale

Des sites comme Heavens-Above donne les éphémérides d'observation en fonction du lieu. Parfois ISS est visible le soir, parfois le matin et parfois pas du tout. La visibilité suit un cycle immuable. Elle n'est observable confortablement que lorsque le Soleil est déjà couché/pas encore levé au lieu d'observation mais encore/déjà en plein soleil environ 400 km au dessus de notre tête à la manière d'un coucher/lever de soleil sur une montagne voisine. Comme son altitude varie au fil du temps (l'atmosphère la freine et elle est régulièrement 'remontée'), sa période orbitale varie également. Il est donc difficile de prévoir le moment exact de son passage longtemps à l'avance. Les logiciels qui font cela se basent sur des mesures récentes qui sont publiées régulièrement sous forme de TLE.

Mais, peut-on, à la manière des anciens qui prédisaient les éclipses, se faire une idée des périodes d'observations? En gros, alors que je prévois un voyage d'une semaine en Papouasie dans six mois, puis-je savoir aujourd'hui si j'aurai l'occasion de montrer un passage d'ISS lors d'un souper à mes amis papous?

Il semble que oui.

Il y a deux paramètres importants dans l'orbite d'ISS qui déterminent sa visibilité en soirée (ou avant l'aube) en fonction de l'époque de l'année : l'inclinaison du plan de l'orbite et la coordonnée du nœud ascendant. L'inclinaison du plan de l'orbite est remarquablement constant, il semble maintenu au centième de degré près. Le nœud ascendant, quant à lui, subit un mouvement de précession qui semble assez stable pour pouvoir effectuer des prédictions valables.

Les données historiques collectées par Jonathan McDowell permettent de s'en rendre compte.

Inclinaison du plan de l'orbite


En ce qui concerne l'inclinaison, une simple commande Unix permet d'extraire l'inclinaison de la liste de TLE :
awk  '/^2/{print $3;}' < ISS-S25544-historical.tle.txt

qui imprime la troisième colonne des lignes commençant par '2' de ISS-S25544-historical.tle.txt. Ce qui, graphiquement, donne :


On peut remarquer deux 'anomalies'. Au début du graphe, un 'réglage/modification de l'orbite' (?) effectué aux environs du 4 juin 1999 et un 'glitch' (?) vers le 15 mars 2007. À part cela, c'est remarquablement stable, entre 51.63 et 51.65° (un demi pour mille). En zoomant sur les données, on peut observer des corrections mineures :


Précession nodale


Le plan de l'orbite est animé d'un mouvement de précession. Le quatrième paramètre de la seconde ligne est l'ascension droite du nœud ascendant. Il convient ici d'être plus précis et de regarder comment ce paramètre évolue en fonction du temps. Pour simplifier, intéressons-nous à l'année 1999. Si on fait un graphique avec le temps en abscisse (on le trouve en ligne un des TLE) et l'ascension droite en ordonnée, on obtient le graphe suivant :

Ce qui semble encourageant.
Si je m'arrange pour éviter le 'modulo 360', j'obtiens quelque chose qui ressemble (de loin) à une belle droite.


Reste à vérifier que cela ne s'éloigne pas trop de la droite idéale.
(Je comptais utiliser GNU R mais je ne sais pas encore m'en servir)

Autre option : la théorie...

En fait, Michel Capderou, dans Satellites : orbites et missions donne une formule pour la vitesse de précession en fonction de l'inclinaison et du demi grand-axe (page 134).


où le résultat est en radians par seconde; J2 est le 'facteur d'ellipticité potentiel de la Terre' (0.0010826362); μ est la 'constante géocentrique de gravitation' (3.986004415E+14 m³/s²); R est le rayon équatorial de la Terre (6378136.3 m); a, le demi grand-axe (R+altitude; m); i l'inclinaison de l'orbite.

En fonction de l'altitude, pour ISS, inclinée à 51.64°, cela donne :

On peut voir qu'une variation de 40 km (ce qui plutôt beaucoup), on a une variation de vitesse d'un dixième de degré par jour. Ce qui est relativement peu : en 6 mois, cela ne fait 'que' 18°, ce qui correspond à un peu plus d'une heure de rotation terrestre. Comme les passages de ISS sont visibles pendant plusieurs heures après le coucher du Soleil, cela semble acceptable.

Sur l'image suivante, on peut observer l'évolution de l'orbite en rouge et du terminateur terrestre en bleu entre le 16 et le 28 mars.


Cliquez sur l'image pour la voir en entier (<esc> pour revenir)

En abscisse, l'heure solaire avec midi au centre et en ordonnée la latitude, le nord au dessus, l'équateur au centre. On voit bien la précession de 5° : il faut trois jours pour que l'orbite se décale d'une heure et le changement de saison (le Soleil disparaît au Pôle sud et apparaît au Pôle nord.

La page qui dessine cela est ici. Elle utilise les canvas de HTML5 et nécessite donc un navigateur récent. La page permet (en principe) de faire le graphique pour n'importe quel satellite à n'importe quelle date. Il faut fournir un TLE pas trop éloigné de la date en question (sinon le résultat vire au n'importe quoi).

Le graphique donne l'heure (locale) solaire de passage à une latitude donnée. En regardant du côté des intersections entre l'orbite et le terminateur, on peut évaluer les moments et les lieux où le satellite est observable (éclairé par le Soleil au dessus d'une région plongée dans la nuit). Dans ce cas-ci, on voit qu'il est observable le matin vers 50° de latitude nord et le soir vers 50° de latitude sud. ISS est observable dans un rayon d'environ 1000 kilomètres, ce qui se traduit par +/- 10° de latitude en vertical mais elle reste visible longtemps après le passage du terminateur (combien?; et plus en été qu'en hiver(?)).

Et donc, pour répondre à la question initiale, oui, s'il n'y a pas de changement de politique en ce qui concerne l'altitude de la station spatiale internationale, on peut prédire longtemps à l'avance si elle sera visible le matin ou le soir. Le graphe suivant montre les prévisions de la position du nœud ascendant début mars 2012 pour EGP et pour ISS à partir des TLE compris entre juin 2011 et début avril 2012 ( AD(9avr)= AD(t) + dn*(9avr-t) ).



On voit qu'une fois faite une modification importante de l'orbite d'ISS mi-juin 2011, son altitude est devenue suffisamment stable pour prévoir dès juillet 2011 que le nœud ascendant se trouverait vers 107° le 9 avril 2012 (EGP, moins sujet au freinage atmosphérique, donne 3° d'erreur à un an).

L'évolution de la vitesse de précession nodale de l'orbite de ISS montre qu'elle n'est pas négligeable (elle est liée à la variation de son altitude) mais cela permet quand même des prédictions raisonnables. Quand bien même utiliserait-on une précession journalière différente de 1/10 de degré, au bout de 150 jours, cela fait 15°, c'est-à-dire une heure de décalage entre la prévision du passage sous le plan de l'orbite et le passage effectif.



En se basant sur la vitesse de précession début juin 2011, on fait une erreur de 30°, 300 jours plus tard (9 avril 2012) parce que, vers le 15 juin 2011, ISS a été remontée d'une cinquantaine de kilomètres et qu'elle est ensuite restée plus ou moins à la même altitude.